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Bulletins La Chauve

Numéro 1 : Mai 2004

Editorial : Le Patrimoine de Valloire, par André Grange

Valloire, de la communauté rurale à la station de ski, par Jean-Claude Magnin

Le Fils du Contrebandier, par Claude Rignot

 

Editorial : Le Patrimoine de Valloire, par André Grange

 

        C’était un sujet que tous les valloirins de souche, les autochtones ou les exilés abordaient lorsqu’ils se rencontraient au hasard d’une fête et ils se lamentaient de le voir partir petit à petit. Bien sûr, on se consolait en voyant que le groupe folklorique existait toujours et qu’il faisait revivre nos traditions musicales et vestimentaires.

        Depuis décembre dernier, c’est l’ensemble des traditions et du patrimoine que quelques  passionnés veulent essayer de faire revivre ou au moins d’en garder les traces. Mais cette œuvre gigantesque ne pourra pas s’effectuer sans vous qui avez des souvenirs et qui souhaitez les faire partager.

        Déjà, des actions ont débuté ; l’office du tourisme, les écoles de ski ont mis sur pied une rétrospective du ski.

Des expositions vont être mises en place.

Des contacts ont été pris avec les associations de village et continueront à l’être ; cela  pour faire revivre le patrimoine.

        Des cours de patois ont démarré sous la conduite d’André BOIS et d’Etienne FALCOZ.

        Nous lançons un appel  à tous ceux que les coutumes, le patrimoine et les traditions intéressent  pour qu’ils viennent nous rejoindre et qu’ils renforcent nos rangs.

Nous devons être vivants, actifs, inventifs comme ceux qui nous ont précédé. Nous en donnerons la preuve, je l’espère.

Ce papier sera peut-être le lien entre nous pour que le passé revive au présent et prépare le futur…

                                                   

Valloire, de la communauté rurale à la station de ski, par Jean-Claude Magnin

                                                                                

                                                                                  

En 1900, Valloire – 4ème commune savoyarde par sa surface – était traversée depuis peu par la nouvelle route du Galibier reliant la Maurienne au Briançonnais.

      Dans un vaste couloir intra-montagnard Sud-Nord, divisé par sa partie supérieure en deux vallées, 19 villages s’égrènent le long de la Valloirette, sur des terrasses alluviales ou des replats d’altitude.

      Chaque village représentait une petite communauté vivant essentiellement de l’activité agropastorale, avec ses champs autour des maisons, ses prairies de fauche en montagne basse et ses vastes pelouses en montagne haute, pour les troupeaux, l’été.

      La chapelle, consacrée à un saint protecteur, rassemblait la population lors d’une fête patronale. Très vite, les plus grands villages disposèrent d’une école.

      Quelques noms de famille, seulement. Aussi fallait-il distinguer les Magnin de Tigny de ceux de l’Archaz, de Geneuil, de Place, de Poingt Ravier, du Col, des Verneys… sans parler des Allysand, Borgé, Buisson, Cornu, Falcoz, Gallice, Grange, Martin, Michel, Ollier, Pascal, Retornaz, Rol, Savoye…

      Une vie rude qui ne permettait pas de vivre vraiment en auto-suffisance, dans la plupart des familles. Très tôt, à l’automne, des centaines d’hommes partaient, essentiellement comme marchands de tissus, vers l’Est de la France, surtout. Une habitude conduisant, bien souvent à une émigration définitive. C’est pourquoi nous retrouvons les patronymes valloirins, certes en Maurienne et dans les villes alpines telles que Chambéry et Grenoble, mais également dans les grands carrefours, comme Lyon et Paris. Dès le milieu du XIXème, certains valloirins se retrouvaient aux Etats-Unis et, un peu plus tard, au Canada et en Argentine. Quelques descendants sont devenus célèbres.

      Toutefois, au début du XXème siècle, Valloire est déjà connu comme site d’alpinisme, avec les Aiguilles d’Arves, et étape pour les « excursionnistes » de la route des Grandes Alpes.

      En décembre 1902, sa vocation de future station n’est-elle pas déjà soulignée par la visite du Capitaine CLERC, venu à ski, avec ses chasseurs, à Valloire, depuis Briançon. En 1911, le Tour de France cycliste passe pour la première fois, au Galibier. La guerre de 14-18, avec sa terrible saignée (42 morts pour la commune) accélère les changements. Dans les années 20 et le début des années 30, arrivent les « villégiateurs » logeant l’été chez l’habitant, pour faire quelques belles randonnées et « humer » l’atmosphère d’une vie rurale encore bien présente.

      En 1934, le Club Alpin Français prend la décision qui engage le destin de Valloire : en faire la grande station de Maurienne, à l’égal de Val d’Isère pour la Tarentaise. Les autorités locales et les habitants surent saisir cette opportunité : création du syndicat d’initiative, arrêt du train PLM à St Michel, fermes transformées en petits hôtels familiaux, premier téléski. La deuxième guerre mondiale vient, momentanément, interrompre ce lancement. Ce n’est qu’en 1946 que le tourisme redémarre avec les jeunes Valloirins, bons skieurs et créateurs d’entreprises. Mais les remontées mécaniques sont dues à l’initiative de Gabriel JULLIARD, un pionnier originaire d’Epierre.

La route est élargie, adduction d’eau et tout-à-l’égout réalisé, ce qui vaut à la station d’être enfin homologuée.

 L’urbanisation s’accélère dans la cuvette, dès les années 60, avec des résidences (le studio est à la mode) et la création de l’Avenue (de la Vallée d’Or). La commune lance les remontées du massif du Crêt du Quart, dans les années 70 et finit par racheter celles de la Sétaz, tout en favorisant un rapprochement avec Valmeinier, par l’établissement d’un forfait commun.

      Dans le dernier quart de siècle, et au tout début du XXIème, les édifices et maisons se multiplient. Valloire n’apparaît plus comme un « village » mais comme une petite ville avec un bâti continu sur 3 Km et 17 000 « lits », en haute-saison, au cœur de l’hiver. C’est ainsi que, contrairement à autrefois, la saison touristique s’est presque entièrement tournée vers le ski, faisant vivre directement ou indirectement, les 1200 habitants actuels. Cette évolution a été, somme toute, bénéfique (minimum de 770 habitants). De nombreux commerçants, artisans, salariés, retraités sont venus, de l’extérieur, s’y installer, apportant du sang neuf à cette vieille communauté, largement ouverte sur le monde (la clientèle européenne est bien là pour le souligner).

      Cependant, il convient que Valloire se développe désormais dans une perspective de développement durable, en préservant ses atouts naturels et humains.

            La défense et la valorisation d’un patrimoine local, entendu au sens large (paysages, bâti spécifique, racines communautaires…) nous semblent absolument nécessaire pour mieux faire connaître Valloire et permettre à chaque famille de « bien vivre au pays », dans un environnement préservé…

  

Le Fils du Contrebandier, par Claude Rignot

 

Voici quelques bonnes pages extraites du livre de Claude RIGNOT  « Vérités et Légendes de Valloire-Galibier »

 

Un Valloirin, habitant au village du Col, un Colarin en somme, contrebandier par nécessité d’abord et ensuite par passion trouva un jour qu’il était temps de transmettre à son premier fils les ficelles du métier. Celui-ci, devenu un solide gaillard, aspirait à marcher à son tour sur les sentiers de la tradition, et à entrer dans la carrière.

-          Pour ta première affaire, dit le père au jeune Colarin, tu iras à Bardonnèche chercher du riz. La route est longue : après Valmeinier on remonte la Neuvache, on passe un premier col on grimpe ensuite aux Muandes avant de redescendre sur la vallée Etroite. Là c’est l’Italie(1). Tu trouveras du riz au Mélèzet, c’est un hameau juste avant la ville.

-          Et pour le chemin du retour ? s’inquiète le rejeton.

-          C’est le même qu’à l’aller, mais il faut se méfier des douaniers ils s’embusquent souvent dans une maison à la « montagne »(2) des Châteaux ou à celle de la Losa.

Le père donne ensuite au jeune homme de l’argent pour le voyage :

-          Dans cette bourse, tu as de quoi acheter deux gros sacs de riz chez les Italiens. Tiens, dans ton mouchoir met cette belle pièce c’est pour te payer une bonne part de polenta ça te donnera des forces pour le retour. Et puis voici deux pièces de cent sous ; en nous quittant demain tu les mettras dans le tronc de la chapelle au col de la Via(3). On a toujours fait comme ça. C’est pour te protéger, tout au long du voyage, des mauvaises rencontres avec les gabelous.

-                     Je ferai comme tu dis Pâre(4). Mais tu ne me donnes rien pour boire un verre ? A Bardonnèche la polenta est épaisse et si je ne bois pas un coup de Barolo (5) je risque d’étouffer

-         Tu boiras de l’eau. Dans notre famille on ne dépense pas notre argent dans les cafés, la vie est trop dure à gagner. Et puis un bon contrebandier doit garder la tête, car tous les douaniers ne sont pas des « tabôrdés »(6), il y en a qui sont rusés comme le renard.

 

Le lendemain le jeune contrebandier prend la route. En passant devant la chapelle, au col de la Via, il glisse dans la fente de la porte une seule des deux pièces que son père lui a remises. « Je ne mets que la moitié. Avec l’autre pièce je trinquerai à Bardonnèche », pense-t-il en enfouissant les cent sous économisés au plus profond de sa poche.

En Italie tout se passe comme il en avait eu l’espérance, quand les nuits précédentes il ne trouvait pas le sommeil en imaginant les difficultés du voyage qu’il allait entreprendre. Il achète avec la bourse deux gros sacs de riz. Avec la pièce serrée dans le mouchoir il règle l’aubergiste pour une part de polenta propre à calmer sa faim de loup. Avec celle de cent sous gardée au fond de sa poche, et qui était la moitié de l’obole traditionnelle, il commande une fiasque de Barolo. Ce vin généreux est propre à réjouir le cœur d’un chrétien. C’est le jour suivant que notre jeune Colarin commence à prendre le chemin pour rentrer à Valloire. La marche est lente avec ces deux gros sacs de riz qu’il porte en bandoulière, un à gauche et l’autre à droite. Dès qu’il a franchi le col des Muandes, le contrebandier a le cœur serré et il sait que maintenant il faut s’en remettre à la protection du Ciel pour échapper aux douaniers. Mais, mon Dieu que la marchandise est lourde qui le tiraille et entrave ses pas ! Et que de précautions doit-il prendre pour repérer les piges que les douaniers établissent depuis les moraines du mont Thabor jusqu’à Valmeinier ! Son père, avant qu’il ne parte pour cette première équipée, lui a bien expliqué que le jour il faut marcher sur les crêtes. De là-haut on voit bien ce qui se passe en-dessous de soi, et c’est la meilleure façon de repérer les déplacements de la douane. Par contre, la nuit il faut rester dans les creux et les fonds de vallée, avancer prudemment, et avoir un œil sur les points hauts où les silhouettes des fonctionnaires se découpent dans le ciel. C’est ainsi que l’on revient sans encombre au pays. Tout cela serait simple s’il n’y avait pas les deux sacs de riz. Ils compliquent sérieusement la marche du jeune homme et leur poids cloue au sol ses enjambées d’ordinaire si prestes. De temps à autre il décroise les bandoulières. Pendant quelques instants la charge paraît moins lourde, mais le balant des sacs devient vite fatiguant lui aussi, et il faut alors repasser chaque bretelle sur l’épaule opposée. C’est encore comme ça que les fardeaux sont le mieux équilibrés.

 

C’est ainsi que le jeune homme, harassé et sans cesse sur ses gardes, parvient à Valmeinier. Le voyage est bientôt fini. Il ne lui reste qu’à monter au Col de la Via pour retrouver l’air de son village. La maison familiale ne sera alors qu’à quelques minutes. Il a hâte d’y retrouver asile et protection. Il arrive bientôt à la chapelle de la Via où il avait glissé son offrande, pour selon la tradition être protégé. A ce moment, il se dit : « J’ai bien fait l’autre jour de ne mettre que la moitié de ce que le Pâre m’avait donné, ça a suffit pour la sûreté de mon voyage. Et puis… le Barolo était gouleyant… »

 

C’est alors que d’un buisson d’arcosses (7) surgissent des uniformes bleus avec soutaches rouges et baudriers noirs ! La voix est péremptoire :

-          Halte-là jeune homme, et avance au ralliement !

L’apprenti contrebandier est « fait ». Il est tombé dans l’embuscade tendue à vingt pas de la chapelle par les gabelous assermentés. Son sang ne fait qu’un tour, il jette à terre un de ses deux sacs de riz et se lance à corps perdu dans la pente qui va vers le village du Col. Les douaniers se précipitent sur le sac abandonné. Mais le temps qu’ils en dénouent la ficelle, le garçon est loin. Ils n’ont pas pu lui mettre la main au collet comme leur chef l’avait ordonné, mais ils rapporteront quand même une « prise »…

 

Au village, le père attend son contrebandier de fils. Celui-ci est tout essoufflé mais soulagé d’être sous le toit paternel.

-                Tu n’as ramené que la moitié du riz ?

-                Oui, Pâre… les douaniers ont pris l’autre moitié.

-                Tu avais pourtant mis l’offrande dans le tronc de la chapelle ?

-                Non, Pâre…j’en avais mis la moitié.

 

Lexique

1. Depuis 1946, la Vallée Etroite est devenue française

2. Chalets d’alpage utilisés pour l’estive

3. Aujourd’hui Col des Troix Croix

4. Pâre en patois père en français

5. Barolo : célèbre vin rouge du Piémont

6. Tabôrdé en patois, simplet en français

7. Autre nom des aulnes ou des vernes

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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